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Trafic de drogue : sur Snapchat, des pubs et des promos "comme dans l'économie légale"

Gérald Darmanin a qualifié Snapchat de "réseau social de la drogue", mercredi sur France Inter.
Gérald Darmanin a qualifié Snapchat de "réseau social de la drogue", mercredi sur France Inter.
© AFP - Lionel Bonaventure

Le ministre de l'Intérieur a qualifié mercredi Snapchat de "réseau social de la drogue". Selon des policiers et experts du sujet, s'y déroulent effectivement de nombreuses transactions illégales, avec des pratiques semblables à celles d'un commerce ordinaire. Mais l'application est loin d'être le seul réseau utilisé.

Pour Gérald Darmanin, c’est "le réseau social de la drogue". Invité mercredi matin de la matinale de France Inter, c’est ainsi que le ministre de l'Intérieur a qualifié l'application Snapchat, qui permet l’envoi de messages éphémères mais aussi la publication de "stories" pour ses abonnés, qui restent affichés seulement 24h. Selon le ministre, c’est sur Snapchat que les dealers de drogue donnent désormais rendez-vous à leur "clientèle". L'exécutif en appelle donc à l’entreprise américaine, pour lutter contre le trafic. 

Produit emballé avec de la publicité

En Île-de-France, la brigade des stupéfiants de Mantes-la-Jolie a par exemple arrêté six personnes, il y a trois semaines. Des vendeurs de drogues qui opéraient sur Snapchat. Dans les faits, le produit était livré et emballé avec de la publicité. "Sur tout ce qui est vendu, vous avez des codes Snapchat [à scanner] et comme ça, le client peut avoir accès à la page des vendeurs", explique un membre de la brigade, délégué du syndicat Unité SGP-Police.

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Selon cet enquêteur, le phénomène est apparu il y a environ 18 mois, à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, mais ne concerne pas de nouveaux trafiquants. Ceux arrêtés début mai étaient "bien connus", et opéraient sur un point de vente physique, un "four". Le réseau social a simplement permis de toucher une nouvelle clientèle et de vendre à 150 km à la ronde, dans un secteur allant de Rouen à Chartres.  

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Snapchat "est loin d'être le seul réseau"

Ce phénomène, Clément Gérome, sociologue et chargé d'étude à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) le constate depuis cinq ou six ans. "Snapchat est loin d'être le seul réseau : il y a Télégram, Signal, WhatsApp et il y a aussi Instagram, qui va, lui, plutôt servir de vitrine où les trafiquants peuvent poster des photos et des vidéos de leurs produits", confirme-t-il. 

Cette activité ne permet pas l'émergence d'un nouveau trafic mais "prolonge les activités des trafics de «cités» souhaitant s’adapter aux besoins de la clientèle des centres-villes dans le cadre d’un marché plus concurrentiel" notait l'OFDT en septembre 2020, dans un rapport.

Selon le Clément Gérome, co-auteur de l'étude, l'utilisation des plateformes en ligne présente des "avantages à la fois pour les consommateurs et pour les réseaux de trafic". "Le consommateur n'a plus à se déplacer, à se rendre sur des points de vente dans les quartiers populaires et se fait livrer chez lui, donc prend moins de risques" explique le sociologue. Côté dealers, cette méthode permet d'échapper davantage aux contrôles de police, selon lui. Une "facilité" que constate le membre de la brigade des stupéfiants de Mantes-la-Jolie : "les clients n'ont pas à se déplacer dans des quartiers où, parfois, ils ne se sentent pas à l'aise". 

D'autant, que les réseaux sociaux permettent d'entretenir les relations avec les clients. "Ils permettent de faire passer tout un tas d'offres promotionnelles, et ce sont des phénomènes tout à fait comparables à ce qu'il se passe dans l'économie légale" selon Clément Gérome_._

Les confinements accentuent le phénomène

Ainsi, tout comme pour la vente à emporter traditionnelle, la crise sanitaire et les confinements ont selon lui engendré une augmentation de la vente à emporter et de l'usage des réseaux sociaux par les vendeurs de stupéfiants. Sans pouvoir la chiffrer, car "par définition, l'économie informelle est illégale", le chercheur "observe, par le biais de témoignages d'usagers, un recours accru à la livraison depuis mars 2020, du fait de la restriction des déplacements". "Se déplacer et se rendre en points de vente physique était un risque qu'il fallait en endosser et, de manière assez logique, le phénomène de livraisons a augmenté" explique-t-il.

Snapchat assure coopérer avec la police

Le ministre de l'Intérieur a réclamé que Snapchat (qui n'a pas souhaité répondre à nos questions) s'engage dans la lutte contre le trafic, invitant l'entreprise à "prendre ses responsabilités" et à "arrêter d'être le réseau social de la drogue" . Selon nos informations, l'entreprise a déjà fourni des données à des enquêteurs français. 

Jeudi soir, Evan Spiegel, le cofondateur et PDG de Snapchat a d'ailleurs répondu à Gérald Darmanin, dans une interview à l'Obs. "Nous investissons beaucoup, et depuis très longtemps, sur la surveillance de tous les échanges sur la plateforme concernant le trafic de drogues" assure le patron du réseau social qui précise collaborer déjà "avec les autorités locales (...) pour repérer et arrêter les dealers". Il note que le repérage automatique de la promotion de produits stupéfiants, par la détection de certains mots sur son réseau, est rendu difficile par l'adaptation des dealers. "Il faut constamment faire évoluer les outils de détection parce que sont sans cesse inventés de nouveaux mots pour parler de drogues en se cachant des autorités" précise Evan Spiegel.

["1999-2019 : Les mutations des usages et de l'offre de drogues en France - Vues au travers du dispositif TREND de l’OFDT"](https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxac2a9.pdf) *; Agnès Cadet-Taïrou, Michel Gandilhon, Clément Gérome, Magali Martinez, Maitena Milhet, Victor Detrez, Julie-Émilie Adès

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