« Enrichir notre langue », c’est, selon Rachida Dati, ministre de la Culture, une « mission essentielle », dont les acteurs incontournables sont les dix-neuf experts de la Commission d’enrichissement de la langue française (CELF) Ceux-ci sont chargés de proposer des équivalents français à des termes étrangers dans les domaines économique, scientifique, technique ou culturel. « Vous œuvrez pour tous les citoyens français mais aussi pour tous les francophones, a poursuivi la Ministre dans son discours en direction des nouveaux membres de la Commission. Notre langue française est autant l’affaire de tous que celle de l’État. Le propre des mots, c’est aussi le mouvement. Dans des sociétés qui ne cessent d’évoluer, la langue doit vivre au même rythme pour restituer la création, l’intention, l’innovation pour nous permettre de penser et d’exprimer toutes les réalités du monde contemporain. »
A l’occasion de l’installation, lundi 27 mai, de la nouvelle Commission renouvelée pour quatre ans avec sept nouvelles personnalités qualifiées, la Ministre est revenue sur ce dispositif unique auquel sont associées quatre cents personnalités venues de douze ministères, et qu’accompagne la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) du ministère de la Culture. « Il n’existe aucun dispositif de ce type dans aucun pays, cette détermination politique et culturelle à faire de notre langue une langue vivante qui dit le monde d’aujourd’hui », souligne Frédéric Vitoux de l’Académie française, écrivain, journaliste et président de la Commission.
Échanges avec les jeunes du pass Culture
Cette séance d’installation était suivie, pour la première fois, par des jeunes du pass Culture, invités à échanger avec les membres de la Commission sur le choix des mots et de leurs équivalents. « Je savais qu’il y avait des commissions qui analysaient les mots mais je ne savais pas qui et où », avoue Apolline, 19 ans. « Je ne connaissais aucun des mots et je ressors en en ayant appris quatre ! J’ai pu constater que ce n’était pas uniquement l’Académie française qui prenait cette décision en cercle fermé mais plusieurs personnes spécialisées dans différents domaines et même la ministre », poursuit Carla. À côté d’elle, Heaven-Abeba a aussi apprécié le fonctionnement de la Celf. « Les remarques de la commission apportent un nouvel angle sur les mots et c’était très intéressant de les voir échanger entre eux. »
À l’occasion de l’installation de la nouvelle Commission, quatre termes (voir encadré) ont été sélectionnés en amont par les groupes de travail pour être examinés : doomscrolling, patent troll, sharenting et predatory publisher. Ces exemples sont issus des groupes d’experts qui mènent une veille pour repérer des termes étrangers émergents et proposer un équivalent en langue française et une définition à la CELF. Comme les quatre exemples du jour, 300 termes ont été recommandés en 2023, dont un quart soumis par le grand public. Une fois leur équivalent et définitions adoptés, ils sont communiqués pour avis à l’Académie française puis définitivement validés par la ministre de la Culture et enfin publiés au Journal officiel ainsi que sur la base FranceTerme.
En tout, depuis 1972, année de création de la CELF, près de 9 500 termes ont été recommandés. « Une nation doit s’approprier sa modernité, ses instruments et ses mots. Cela peut paraitre dérisoire de dire ordinateur ou logiciel au lieu de computer et software, que l’on parle de biocarburant, de covoiturage, de financement participatif ou d’infox mais c’est précisément de cette manière que les grandes nations retrouvent leur place dans le monde d’aujourd’hui et impriment leur marque sur celui de demain », estime Amin Maalouf, Secrétaire perpétuel de l'Académie française, présent lui aussi à l’installation de la Commission.
De nouvelles actions pour la prise de parole et l’apprentissage du français
Toujours à l’occasion de l’installation de cette nouvelle Commission, la ministre de la Culture a présenté Éloquence, un nouveau projet destiné à valoriser la prise de parole, notamment pour les jeunes de 16 à 25 ans en insertion. Ce public va être formé à la prise de parole publique, à l’éloquence et aux métiers de la culture notamment ceux de la médiation. « Ce dispositif sera destiné à des jeunes en situation d’inhibition vis-à-vis de ces métiers riches, variés et diversifiés car ils ont peur de s’exprimer en français », explique la ministre de la Culture Rachida Dati. Cette expérimentation est lancée avec l’Académie française à travers des ateliers de mentorat par des académiciens. Elle débutera la rentrée prochaine auprès de cent jeunes, comprendra, pendant un an, des ateliers de formation à la prise de parole et se conclura par un grand prix de l’éloquence.
Une autre action sera destinée au public allophone – dont la langue maternelle n’est pas celle du pays dans lequel il vit – avec la mise en place d’un partenariat avec l’OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration) pour renforcer à la fois l’offre de formation à la langue française et l’offre culturelle en direction des personnes engagées dans une démarche d’apprentissage du français. Un tel partenariat était déjà signé avec le Centre des Monuments nationaux. « Nous allons étendre ce dispositif à d’autres institutions culturelles », a ajouté la ministre.
Quatre termes débattus par la Commission
- Doomscrolling : défilement morbide
Définition : pratique qui consiste à faire défiler sur un écran, de manière répétitive, un grand nombre d’informations anxiogènes provenant d’internet, en particulier des réseaux sociaux.
« Il y a eu un débat avec maladif mais le terme morbide nous a paru le plus approprié et adapté », explique Philippe Lechat, président du collège Santé et Affaires sociales. La professeure des universités Marianne Doury, pose la question de l’emploi de « de manière répétitive » dans la définition plutôt que « compulsif ». « Ce terme décrit ce qu’il se passe, plutôt que compulsif, qui avait un sens presque pathologique », lui répond Philippe Lechat. - Patent troll : accapareur de brevets
Définition : personne physique ou morale sans activité productive qui acquiert des brevets non pas pour les exploiter mais uniquement pour obtenir des indemnités auprès d’autres entreprises sous la menace d’une action en contrefaçon.
Les débats ont tourné autour du choix entre « chasseur » et « accapareur » de brevets. « Mais chasseur était plus éloigné de ce que l’on voulait dire, renvoie à une autre image », poursuit Vincent Chabin. - Sharenting : surexposition infantile
Définition : Pratique qui consiste, pour des parents, à exposer leurs enfants sur les réseaux sociaux.
Le lien entre l’équivalent français et la définition a été particulièrement débattu lors de la Commission. « Se place-t-on du côté des parents et du partage ou du côté des enfants et de la surexposition ? », se questionne Étienne de Laharpe, expert en stratégies de communication. Cécile Isidoro, conseillère d’État, souligne qu’infantile renvoie à la petite enfance alors que la notion concerne tous les âges. « Le choix des termes me gêne, la définition semble incomplète. » Enfin pour Jean-Michel Gaussot, ministre plénipotentiaire, le terme surexposition est « très général » et la définition gagnerait à être « plus précise ». - Predatory publisher : éditeur prédateur
Définition : éditeur de revue non référencée, à prétention scientifique, généralement numérique, qui publie des articles contre paiement sans qu’ils aient été évalués par les pairs.
Le choix du mot « prédateur » n’a pas convaincu certains experts qui ne retrouvent pas cette notion dans la définition proposée. « Il s’agit d’une opération commerciale où chacun trouve son compte », note Philippe Saint Raymond, ingénieur général des mines honoraire qui préfère l’équivalent « éditeur parasite », également plébiscité par Philippe Lechat car « il noie les bonnes publications ». Ce débat a ainsi été l’occasion d’aborder ces pratiques dans le domaine scientifique, notamment auprès des jeunes chercheurs en fin de thèse pour qui « la pression à la publication est très forte », conclut Antoine Triller, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences.
Partager la page