« Maintenant que les périls climatiques sont bien perçus, un compte à rebours vital est engagé. Et on entend vanter, çà et là, la capacité d’un certain autoritarisme à mener la lutte climatique. Les démocraties, supposées faibles, seraient a contrario incapables d’imposer des mesures contraignantes. Qu’il soit permis d’en douter.
Certes, leur efficience sur ce plan peut être entravée par la « myopie démocratique » évoquée par le politiste Pierre Rosanvallon. La fréquence des élections empêcherait d’avoir des politiques publiques de longue portée. De fait, des manifestations récentes ont montré que les démocraties avaient du mal à installer des politiques climatiques coercitives : en France, les gilets jaunes s’opposant à la taxe carbone, aux Pays-Bas, les agriculteurs dénonçant la volonté de réduire les élevages.
Mais ces manifestations étaient moins une opposition à la lutte climatique que l’expression d’un sentiment d’injustice né de mesures jugées inéquitables. Si elles peuvent entraver les politiques climatiques, les manifestations pour le climat, souvent radicalisées, sont aussi l’apanage quasi strict des États démocratiques, qui ont des comptes à rendre face à des expressions de plus en plus massives d’écoanxiété.
Et comment oublier les pressions exercées par des juridictions nationales au motif que les gouvernements sont trop prudents ? À cela s’ajoute la liberté académique et médiatique, gage de prévention contre le climatoscepticisme, qui fleurit aussi, il est vrai, dans ces mêmes espaces du fait du populisme numérique.
« Les démocraties sont malgré tout plus efficaces que les États autoritaires ou nationaux-populistes pour mener la lutte climatique »
Ainsi, les performances climatiques réelles des démocraties apparaissent les plus déterminées. En particulier, celles d’Europe occidentale dont l’action, certes encore timide, s’accélère. D’autres démocraties – Australie, États-Unis, Canada – sont plus en retard. Ces pays produisent eux-mêmes des énergies fossiles et ces secteurs pèsent lourd dans leurs économies. Notons aussi que les deux premiers ont été récemment dirigés par des gouvernements populistes et climatosceptiques. Quant au Canada fédéral, son principal État producteur d’énergies fossiles, l’Alberta, dirigé aussi par une populiste et climatosceptique, s’oppose aux plans climatiques du Premier ministre Justin Trudeau.
Les démocraties sont malgré tout plus efficaces que les États autoritaires ou nationaux-populistes pour mener la lutte climatique. Ainsi le national-populisme, qui tente d’amener des démocraties fatiguées vers l’autoritarisme, est très mal placé pour apporter des solutions. Son mépris des médias et du monde scientifique, sa tendance à la collusion économique et au détricotage des contre-pouvoirs, facilitent son entreprise climatosceptique. Jair Bolsonaro a incarné ce « carbo-populisme ».
Mais revenons à l’autoritarisme supposé efficace. La Chine, la Russie ou l’Arabie saoudite, tous gros émetteurs de gaz à effet de serre, n’ont pas de prime dans la lutte contre le changement climatique. Tant s’en faut. Le contrôle de la vérité scientifique et médiatique, la collusion entre pouvoirs, milieux d’affaires et secteur des énergies fossiles, la limitation des mobilisations de rue : tout cela pénalise l’audace climatique. Et, dans ces pays sans séparation des pouvoirs, peut-on imaginer une institution nationale porter plainte contre ces États pour inaction climatique ?
Quant à l’autoritarisme des États moins développés et faiblement producteurs de gaz à effets de serre, il ne faut pas les juger sur les efforts opérés en matière d’émissions. En revanche, ceux qui les encadrent pratiquent souvent la corruption à grande échelle. Partant, leur responsabilité réside dans le manque de protection de leurs populations contre les effets de ces changements climatiques. Contre un mauvais état de la nature, la nature de l’État demeure fondamentale : des catastrophes environnementales démontrent régulièrement cette évidence.
Distinguer les régimes politiques dans leur façon d’agir pour le climat ne doit pas faire perdre de vue une autre évidence : quel que soit leur rapport à la liberté, tous les pays sont à embarquer dans la lutte contre le changement climatique. »

Pierre Blanc vient de publier « Géopolitique et climat », éd. Les Presses de Sciences Po, 240 p., 17 euros.