
Le 26 juillet dernier, les militaires emmenés par le général Tiani ont mis fin à l'une des démocraties les plus "stables" d'Afrique de l'Ouest. Mais le coup d’État au Niger est-il vraiment semblable aux putschs qu’ont connus ses voisins ? Comment comprendre le soutien populaire aux putschistes ?
- Nina Wilèn, directrice de programme Afrique à l'Institut Egmont et professeur en sciences politiques à l'Université de Lund
- Abdoulaye Sounaye, enseignant-chercheur au Lasdel de Niamey, et au Leibniz-Zentrum Moderner Orient de Berlin.
- Christian Bouquet, professeur émérite de géographie politique à l’université de Bordeaux-Montaigne, chercheur au Laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM) à Sciences Po Bordeaux
Du Niger, on disait qu’il était le pays le plus « stable » d’Afrique de l’Ouest. Mais le 26 juillet, le général Tiani et une large partie de l'armée ont mis fin au long processus démocratique amorcé par le pays depuis le début des années 90. Certes, la trajectoire du Niger a aussi été entrecoupée par des périodes de crise, mais son système démocratique qui assurait malgré tout une certaine forme d’alternance politique, saluée par les commentateurs.
Le président Mohamed Bazoum, qui avait remporté les élections de 2021, est captif des militaires depuis leur prise de pouvoir. Bien qu'il n'ait officiellement pas démissionné, la restauration de son mandat semble aujourd’hui improbable. Un parallèle commence alors à se dessiner dans les analyses, reliant la situation politique du Niger à celles de certains pays frontaliers, à l'image du Mali et du Burkina Faso.
Mais dans quelle mesure ce coup d’État relève-t-il de dynamiques semblables à celles des putschs qu’ont connus ses voisins ? Certains éléments ne lui sont-ils pas singuliers ? Par ailleurs, comment évaluer le soutien populaire dont bénéficie la junte, au-delà des images de liesse massivement relayées ?
Julie Gacon reçoit Abdoulaye Sounay, enseignant-chercheur au Leibniz-Zenrum Moderner Orient de Berlin, ainsi que Nina Wilèn, directrice de programme Afrique à l'Institut Egmont et professeur en sciences politiques à l'Université de Lund.
Certains traits de ce bouleversement politique sont ainsi bien à distinguer pour Abdoulaye Sounay : "Ce qui est surprenant avec ce coup d'État, c'est que les partis politiques qui étaient toujours en train de soutenir un processus de démocratisation, ont tout d'un coup retourné leurs vestes en apportant un soutien aux militaires."
Par ailleurs, bien que Nina Wilèn souligne le flou entourant le programme des putschistes et l'incertitude du futur du pays, les conjonctures analogues de ses voisins doivent selon elle alerter : "On se rappelle qu'au Mali, il y a maintenant près de deux ans, la junte avait ouvert des assises nationales de la refondation comme un préalable à des élections qu'on attend toujours." De même, à propos des démonstrations de soutien populaire au coup d'État, la chercheuse nous invite à les recontextualiser : "Ces manifestations marquent aussi une dissatisfaction du quotidien dans l'un des pays les plus pauvres du monde. C'est difficile de voir ça comme un soutien politique."
Focus : Niger, une insécurité alimentaire chronique
En deuxième partie d'émission, le géographe Christian Bouquet aborde ces conditions matérielles qui forment le terreau des événements en cours, avec en particulier une insécurité alimentaire que le géographe qualifie de "structurelle". Le 14 août dernier, l'ONU alertait d'ailleurs sur cette situation alarmante, et qui pourrait bien s'aggraver du fait des sanctions économiques prises par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao). Avant la crise politique, c'était en effet déjà 3 millions de personnes qui se trouvaient dans une situation d'insécurité alimentaire aigüe selon l'agence humanitaire des Nations Unies ; tandis que près de 7 millions de personnes risquent de voir leur situation se dégrader.
La conjoncture politique est d'autant plus préoccupante pour Christian Bouquet que depuis déjà longtemps, le Niger est loin d'être autosuffisant, et cela pour plusieurs raisons. La première est une raison climatique : "Il faut se rappeler que dans ces pays-là, les précipitations sont extrêmement précaires, et la saison agricole dure ainsi autour de trois mois. La récolte, très dépendante de cette maigre saison des pluies, est ensuite collectée dans des greniers en paille, similaires à ceux du temps de la colonisation.". Mais selon le géographe, l'insécurité alimentaire s'explique aussi pour des raisons démographiques : "Là où il y avait un Nigérien il y a soixante ans, il y en a maintenant huit. Il faut nourrir tout ce monde-là, sachant que de l'autre côté, ni les terres utilisables ni la productivité n'ont été multipliées par huit."
Références sonores & musicales
Le général Abdourahmane Tiani, président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie au Niger, intervention à la télévision nationale (TV5 Monde - 19/08/2023)
Nigérienne en soutient au président déchu Mohamed Bazoum (RFI - 06/08/2023)
Abakar dénonce le manque de perspectives pour les nombreux jeunes diplômés durant l’ancien régime (France info 17/08/2023)
Témoignage d'un agriculteur nigérien sur la crise alimentaire (France 24 - 03/12/2023)
Musique : Tout va de travers - Zara Moussa. Extrait de l'album "Ma rage" - Label Caravan (2012)
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